Rencontre avec Dominique, 70 ans, instructrice de qi gong. Dominique vit depuis 35 ans au Japon. Installée aujourd’hui près de Tottori, elle nous livre ses souvenirs, ses conseils, ses coups de coeur. Un grand merci à elle 🙂 !
Pouvez-vous vous présenter rapidement (lieu d’habitation actuel, depuis combien de temps vivez – vous au Japon ? Quel âge avez-vous ? Statut ?)
Bonjour!
Ici Dominique (***), soixante-dix ans, retraitée, qui vous salue de Tottori, petite ville de 193,000 habitants, située sur la côte Ouest de Honshu (île principale de l’archipel nippon), entre la Mer du Japon et la chaîne de montagnes Chugoku, qui culmine à 1709m, au Mont Daisen (surnommé le « Mont Fuji de l’Ouest »), partie intégrante du Parc National San-In Kaigan.
J’y réside depuis sept années, avant lesquelles j’ai vécu à Tokyo pendant près de vingt-huit ans : 35 ans de vie au Japon, avec un projet initial de n’y rester que… six mois !
Pourquoi et dans quelles conditions êtes-vous venue vivre au Japon ?
C’est au printemps 1975 que, portée par les ailes d’une compagnie aérienne française, mon employeur d’alors, je suis arrivée au Japon, pour trois semaines de vacances merveilleuses sous les cerisiers. Conquise par la beauté des lieux, séduite par la politesse et la gentillesse des Japonais, et fascinée par le mystère de leur sourire, j’ai décidé de venir y vivre, pour « en découvrir davantage ». De retour à Paris, envers et contre tous (le Japon représentait le « bout du monde » à l’époque, et les étrangers étaient encore peu nombreux), je me suis lancée dans la préparation de ce projet d’expatriation.
Une année plus tard, le 10 octobre 1976, je descendais de l’avion à Narita, qui venait d’ouvrir ses portes, pour une période de six mois. Quelque 35 ans plus tard, et après de nombreuses ruptures et retrouvailles qui sont le propre des grandes histoires d’amour, je m’y trouve donc toujours.
Comment vous y êtes-vous préparée (budget, langue…) ?
Aventurière mais prudente, je m’étais assurée de conserver mon emploi en France, grâce à un congé sans solde de trois ans renouvelables. J’avais également en poche toutes mes économies (quelques milliers de francs d’alors), un contrat et un visa de travail de six mois, une assurance, les clés d’un appartement de fonction, et un billet d’avion… aller-simple.
Durant cette intense année de préparation, le temps et les moyens ayant manqués pour suivre des cours de langue, je m’étais munie d’un lexique franco-japonais, et des rares mots de première nécessité glanés auprès de mes amis japonais en France. Cette insouciance s’est prouvée avoir été ma plus grande erreur !
Les préparatifs ont nécessité de longs mois, pour trouver un emploi d’abord, puis réunir les conditions de mon installation. Je déménageais seule, pour un pays inconnu, mais rêvé, avec pour simple projet d’ « aller voir » .
Quelles ont été vos difficultés éventuelles en arrivant ? Vos joies ? Vos surprises ?
La réalité s’est vite chargée de me faire descendre sur terre.
Les plus grands chocs : l’ « appartement », un placard tout équipé, éclairé d’un vasistas au plafond, délaissé le soir-même de mon arrivée, grâce à la mobilisation de quelques nouveaux amis, pour un hébergement en famille dans un premier temps ; les transports laborieux, toutes les directions étant alors écrites uniquement en japonais ; la longueur des trains et les distances entre les gares ; quant au travail, sur le modèle du roman « Stupeur et Tremblements » d’Amélie Nothomb, j’étais devenue un accessoire de marque française exhibée pour le standing de la société, et le « porte-sac » de son PDG. J’y reviendrai.
Les joies : La gentillesse délicate et incroyable des Japonais : à peine arrêtée devant un plan, il se trouvait toujours une personne pour s’arrêter, me renseigner et, éventuellement, me guider. La grande sécurité partout, à toute heure, et l’extrême honnêteté des Japonais.
Exemple-culte pour moi : me sentant « riche » de mon premier salaire en yens, j’ai emprunté un taxi dans lequel j’ai laissé l’enveloppe des espèces, vierge de tout nom ou contact, sur le siège en descendant. Une heure plus tard, le chauffeur frappait à ma porte, me trouvant dans tous mes états (euphémisme : « en larmes ») pour me rapporter mon salaire intégral… Après avoir déposé son client suivant, qui lui avait remis l’enveloppe trouvée sur la banquette, il m’avait retrouvée en demandant aux commerçants du quartier où il m’avait déchargée. Tout le monde connaissait la rare Gaijin que j’étais ! J’en ai pleuré, de joie cette fois, mais me suis retenue de lui sauter au cou (les distances sociales ont toujours existé ici) !
Les surprises : Le coût de la vie : une orange, 100g de bœuf, aux prix du kilo en France ; les appartements, si petits, si chers, souvent sans salles de bains individuelles ; les transports ; tous les objets de consommation courante à des prix prohibitifs.
Les découvertes magiques de charmants quartiers, de jolis parcs, d’une statuette, d’un sanctuaire, au hasard d’une balade dans les ruelles. Les rencontres sur un banc ou dans un café. Les délices de la cuisine nippone.
La plus importante surprise de toutes : Personne, moi moins que les autres, ne s’en doute encore, mais ayant été chargée par ma société d’ouvrir un cours de français pour nos clients, mon meilleur élève (il sait dire bonjour et merci) se révélera être… mon futur mari !
Tout était nouveau et source de surprise et d’enchantement. Ou presque.
Parliez-vous couramment en arrivant ? Si non avez-vous suivi des cours et quel est votre niveau aujourd’hui ?
J’ai déjà évoqué l’omission monumentale et cuisante de l’apprentissage de la langue avant mon départ, le principal handicap dans mon installation au Japon.
Je n’ai jamais autant souri dans ma vie que pendant ces deux premières années à couvrir mon « illettrisme » nippon.
Dès le premier jour, j’apprendrai un, puis deux etc. mots nippons, que j’inclurai dans mes phrases anglaises, ou espagnoles (ce qui est une autre histoire). Au bout de six mois dans ma société japonaise, où j’exprime peu à peu mes besoins premiers, une amie me félicite de mes progrès. Mais, gênée, elle ajoute que je ne donne pas une bonne image car, dit-elle de plus en plus gênée, je parle une langue d’homme ! En effet, je travaille dans un environnement exclusivement masculin et je n’ai aucune idée que les « meshi » ou « nan darou ?» ne peuvent JAMAIS sortir de la bouche d’une femme bien élevée. Ils devront être dits « gohan » (= repas) ou « nan desu ka ?» (= comment?)
Je décide alors, en même temps que je prolonge mon séjour de six mois, de m’inscrire dans une école de langue japonaise. Je choisis l’une des écoles les plus anciennes du Japon, et j’entre ainsi dans le monde des « yoroshu gozaimasu » et « gokigen yo ». Avec l’aide de ma « Sensei », adorable dame âgée, trop polie pour s’offusquer de mes écarts constants de langue, je réussis le premier niveau d’une année en quatre mois, en passant des nuits blanches à couvrir mes cahiers d’exercices de hiragana, puis katakana, pour arriver enfin aux sacro-saints kanji. Je suis passionnée.
Mon premier séjour durera finalement deux ans, sans jamais parler français et, à mon retour en France, mes parents se sont affolés de mes intonations étranges en m’exprimant dans la langue de Molière.
Chaque fois que mes activités professionnelles et familiales me le permettront, je retournerai à l’école pour perfectionner notamment mon expression orale, et celles qui me donnent le plus de soucis, l’écriture et la lecture.
Et puis, j’obtiendrai le niveau 2 du test d’aptitude de langue japonaise, l’incontournable JLPT (Nihongo Noryoku Shiken). Après la naissance de ma fille, je tenterai et échouerai au niveau 1, que je ne repasserai jamais.
Aujourd’hui, grâce à mes expériences professionnelles, qui m’ont amenée à rédiger des communiqués et revues de presse japonaise en anglais, et à donner des conférences en japonais également, je parle couramment la belle langue de Lady Murasaki. Je continue à expérimenter quelques difficultés avec la lecture et l’écriture. Les ordinateurs sont une grande aide pour la rédaction de textes, mais que personne ne me demande de lire le journal à haute voix !!!
Avez-vous travaillé au Japon ? Si oui dans quel genre d’entreprise, combien de temps ? Pouvez-vous nous parler de cette expérience (horaires, intégration…) ?
Je travaille depuis l’âge de quinze ans et mes séjours nippons ne m’ont jamais arrêtée.
– Ma première entreprise au Japon, introduite plus haut, était une agence de voyages japonaise. Les horaires du matin étaient très stricts, ceux de fin de service inexistants : en effet, je devais accompagner le PDG, très fier d’exhiber la FURANSUJIN dans ses sorties « entre hommes » dans les clubs, cabarets, night-clubs et autres lieux de perdition et de « nomunication » (communication par les verres partagés), qui foisonnaient à l’époque . La fiche de poste était floue, mes tâches aussi diverses et variées que la préparation du café pour le PDG et du thé pour les clients, réceptionniste, appels téléphoniques (sic!), accompagnatrice de groupes le dimanche, instructrice de français le samedi, et nettoyage des bureaux et cendriers de ces messieurs-mes-collègues. Très bien accueillie, tout le monde a poussé un discret soupir de soulagement à ma démission, deux ans plus tard. En un mot, immersion totale dans la société nippone. Ces années de travail ne seront pas incluses dans le calcul de ma retraite, malgré les cotisations obligatoires, la loi d’alors ne le prévoyant tout simplement pas.
– Après un bref retour en France, suivi d’un nouveau séjour au Japon et un mariage, puis trois ans de vie française, retour au Japon en poste de directrice du bureau de Tokyo d’une grande agence de voyages française, avec un statut de détachée (contrat français). Tous les aspects de la tenue d’un bureau de voyages, avec service aux clients d’affaires, négociation des contrats fournisseurs, la gestion d’un budget et des ressources humaines… Six ans de poste entre la France et le Japon. Les conditions de vie (appartement de fonction…) ont favorisé la naissance de notre fille.
– Incursion dans le monde du travail nord-américain : Chargée de communication pour une entreprise de semi-conducteurs (liaison entre le management américain et le personnel japonais). Statut local. Nombreux voyages de formation en communication en Asie (Hong-Kong, Singapour…). Quatre ans d’aventure au rythme de la Silicone Valley à Tokyo.
– Enfin, 13 années au sein de la Commission européenne au Japon, dans un environnement nippo-européen, avec un poste de Chef-Attachée de Presse (recrutée locale). Intermédiaire entre Bruxelles et le Japon, aux tâches couvrant tous les aspects de promotion des politiques européennes auprès des médias nippons et étrangers, et des milieux universitaires (revues et communiqués de presse, accompagnement médiatique des commissaires européens, édition de matériel promotionnel (magazines…), formation et conférences des jeunes publics… Passionnant.
Nouveau retour à Paris, pour y clore ma vie professionnelle : poste de directrice d’association au sein de la Bibliothèque nationale. Période de ré-adaptation très difficile, en terme de ré-affiliation auprès de l’administration française.
Revenue au Japon en 2015, et contre toute attente, j’ai entamé une nouvelle vie à Tottori, la ville d’origine de mon conjoint, ce que je n’aurais jamais imaginé !
Depuis 2017, je suis retraitée, dans le cadre du traité bilatéral des retraites France-Japon, dépendant ainsi des deux systèmes de retraites, français et japonais. Je poursuis de nombreuses activités : enseignante du français et de l’anglais, instructrice de Qi-Gong Tai Chi, et d’aromathérapie, praticienne de Seitai (massages énergétiques). Je suis également fréquemment invitée à donner des conférences sur les Droits de l’Homme (en France, dans l’UE et au Japon) dans la ville et sa région.
Je suis surtout devenue la gardienne de la demeure familiale, âgée de près de 170 ans, et de sa mémoire.
Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux francophones souhaitant se préparer au mieux à venir vivre au Japon (langue, logement, intégration…) ?
Évidemment, le Japon s’est considérablement ouvert aux étrangers depuis les années 70, et le nombre de résidents étrangers a augmenté de façon exponentielle, même si la « crise Corona », comme elle est appelée ici, a stoppé les nouvelles arrivées. Le Japon envisage une ré-ouverture prudente et graduelle, en acceptant à nouveau d’émettre des visas d’étudiants. A la fin février, le pays reste cependant totalement fermé aux touristes. Vous l’aurez compris : l’immigration au Japon est très stricte, et les visas de séjour constituent la clé essentielle pour un séjour au Pays du Soleil Levant, qu’il soit de courte ou de plus longue durée.
Personnellement, j’ai passé de nombreuses années avec des visas de courte durée, même mariée à mon conjoint japonais (six mois renouvelables, puis un an, puis trois, puis cinq ans), et j’ai pu enfin pu obtenir le Graal : le statut de résident permanent. Le premier m’avait été retiré lors de mon retour en France en 2006, et je n’ai pu bénéficier d’un nouveau visa permanent qu’en 2018.
Mes conseils seront donc d’entamer un projet de vie au Japon en considérant d’abord tous ces aspects essentiels d’immigration. Les conditions d’obtention des visas ne sont pas toujours claires, surtout pour le statut permanent. Il sera utile de les considérer avec soin et de les suivre scrupuleusement.
Il est extrêmement difficile en outre de modifier son visa sur place et trouver un emploi est également compliqué, pour l’employeur qui devra, lui aussi, faire face à des démarches administratives nombreuses et complexes.
Trouver un emploi avant de partir, qui garantirait un statut d’expatriation, me semble bien sûr la solution la plus sécurisante.
Dénicher un emploi, puis un appartement et assurer soi-même ses bases de vie administrative, n’est pas simple, et à Tokyo en particulier, impliquent également des coûts très élevés. La scolarisation des enfants posera des questions d’ordre culturel, mais aussi de moyens financiers. Les questions sont multiples et la prudence s’impose.
Enfin, l’apprentissage de la langue demeure l’une des, sinon LA condition de survie ici, croyez-moi !
La vie au Japon pour une ou un GAIJIN est une expérience extrêmement enrichissante et peut combler les rêves les plus fous. Mais elle n’est pas facile ni simple, et nécessitera de multiples efforts, sacrifices et remises en question.
Cliquez ici pour retrouver les types de visas les plus utilisés pour partir vivre au Japon : ICI
Conseillez-vous la préfecture dans laquelle vous vivez et pourquoi ?
La Préfecture de Tottori est la moins riche en terme de budget national, la moins peuplée et la plus âgée du Japon.
La nature y est glorieuse, et les joies de sa région innombrables : la mer et ses côtes sauvages aux petites criques ; la montagne et ses activités été comme hiver ; ses onsen (sources thermales) omniprésentes et ses dunes grandioses ; son histoire, autour des ruines de son château, passionnante ; sa culture des manga riche et divertissante ; ses spécialités culinaires, du crabe aux poires, en passant par les petits oignons des dunes, constituent un éventail multicolore de plaisirs et de découvertes. Il en existe encore bien d’autres…
Cependant, la vie y est aussi rude, comme ses hivers froids, gris et abondamment neigeux. La ville est hélas très peu peuplée, et il n’est pas rare de ne croiser âme qui vive sur les trottoirs de sa rue principale.
Les petits commerces ferment les uns après les autres, et les maisons abandonnées un temps, sont vite remplacées par d’innombrables parkings bétonnés.
La population y est très traditionnelle et, de prime abord, pas très ouverte aux étrangers. La culture, ma foi, trop souvent laissée pour compte : un seul cinéma, avec des projections « d’Animé » réservés aux très jeunes publics, peu d’expositions ou de conférences…
L’on s’y fait cependant de belles relations et, une fois la confiance installée, très fidèles.
Les offres d’emploi sont rares, les salaires plus bas que dans les grandes villes mais les services de la Préfecture et de la Ville œuvrent à la promotion de la qualité de vie, en particulier pour les jeunes familles.
Je recommanderai une ou plusieurs visites, avant une décision de vie.
Un grand merci à Dominique qui vit au Japon depuis 35 ans ! 🙂
Retrouvez l’ensemble des parcours d’autres expatriés que nous avons interviewés dans la catégorie Portraits 😉
Pour en savoir plus sur Tottori où vit Dominique :
Merci pour ce beau témoignage, j’aimerais trouver un travail depuis la France comme c’est conseillé mais pas simple 🤪
Ils ont une belle philosophie de vie au Japon.
おはようソフィーさん。
そのきじはとてもおもりしいです。
Bon j’arrive pas à exprimer le reste de ce que je pense en japonais (je dois être à 80% de connaissances du JLPT5).
Ton interview de Dominique reflète bien sa personnalité, sa lucidité et sa sagesse. On a presque l’impression de la connaitre.
Tottori est une des destination que j’aimerai beaucoup faire pour mon premier voyage au Japon.
a+
Benoit
Merci Benoît pour ton retour. Tottori semble très chouette, je ne connais pas encore non plus. Cela mérite le détour semble-t’il, pousser jusqu’à Matsue et Izumo 🙂
Merci pour ce partage d’expérience plain de sagesse et de valeur ! J’ai hâte de l’écouter en podcast 🙂
Merci Line c’est pour bientôt en audio ! 🙂
Merci pour ce beau portrait/interview très intéressant, j’ai connu un peu les même expériences avec la Chine il y a quelques années quand j’y suis allé, je comprends ce que Dominique a pu ressentir .Merci pour son partage
Merci Florent pour ce retour et à bientôt sur un boss en chinois 😉 !